Chapitres
Le principe de la responsabilité du fait personnel
Signification du principe
Le droit pénal pose que seule la personne qui a commis personnellement une infraction en tant qu’auteur, en tant que co-auteur ou en tant que complice peut être déclarée pénalement responsable et subir les peines prononcées à son encontre.
Cette affirmation est justifiée par les principes de responsabilité personnelle et de la personnalité des peines. Le principe de responsabilité personnelle est un principe fondamental du droit pénal. La Ccass dans des arrêts devenus depuis des grands arrêts a toujours affirmé, même en l’absence de textes précis, que la responsabilité pénale ne peut résulter que d’un fait personnel ou encore que nul n’est passible de peine qu’à raison de son fait personnel (Chambre criminelle, 28 février 1956, « Wiederkehr »). Le Conseil Constitutionnel a érigé ce principe au rang des principes a valeur constitutionnelle, en précisant dans une décision du 16 juin 1999 (JO du 19 juin 1999) qu’il résultait des articles 8 et 9 de la DDHC de 1789 que nul n’est punissable que de son propre fait. Le Code Pénal a consacré l’interprétation jurisprudentielle telle qu’elle résultait de la Cour de Cassation en posant à l’article 121-1 du Code Pénal que « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». A la différence du Droit Civil qui peut faire peser la responsabilité civile sur une personne autre que celle qui a causé un dommage (ex. responsabilité des pères et mères du fait de leurs enfants, responsabilité générale du fait d’autrui...etc. une tierce personne va être accusé des dommages causés par un tiers), en principe la nature du droit pénale s’oppose à l’admission d’une responsabilité pénale du fait d’autrui. Les atteintes qui sont portées par le droit pénal à la liberté individuelle ne peuvent directement s’adresser qu’à celui qui a commis la faute génératrice de responsabilité. Il est dans le même sens inconcevable et inadmissible qu’une personne soit sanctionnée par une peine privative de liberté pour une infraction qu’elle n’a pas personnellement commise. Il en va de la garantie des libertés fondamentales.
Les effets du principe
Ce principe interdit tout d’abord de retenir une responsabilité pénale collective, même si on a pu connaître cette responsabilité pénale collective dans des époques antérieures.
Néanmoins, l’interdiction d’une responsabilité pénale collective ne doit pas conduire à l’impunité de certains membres du groupe. Lorsqu’un dommage est imputé à l’action de plusieurs membres d’un même groupe, il faut établir une faute personnelle pour chaque membre en relation avec le dommage (ex. : en matière de dommages subis par un patient et imputés à l’action d’une équipe médicale : il va falloir rechercher la faute personnelle de chacun des membres pour leur imputer une faute pénale).
Ce principe condamne également tout système de responsabilité objective du fait d’autrui.
Pour qu’une personne soit déclarée pénalement responsable, il faut qu’elle ait commis personnellement une faute et tant que la preuve de cette faute n’est pas rapportée, la présomption d’innocence s’applique. De plus, toujours en application du principe de la personnalité des peines, la sanction pénale ne peut toucher que celui qui a personnellement causé l’infraction.
La responsabilité pénale des dirigeants
On est forcé de se demander si en droit pénal, on n’est pas forcé de reconnaître une responsabilité du fait d’autrui.
Domaine et nature de la responsabilité pénale des dirigeants
La nature de cette responsabilité (du fait personnel ? du fait d’autrui ?) se pose effectivement lorsqu’un chef d’entreprise est poursuivi et condamné pour une infraction commise par l’un de ses salariés ou préposés. Il faut écarter certaines hypothèses car elles n’appartiennent pas véritablement à notre champ d’étude. Ce sont des hypothèses qui se rapprochent de la situation qu’on envisage d’aborder, mais qui relèvent d’autres textes. En premier lieu, le chef d’entreprise peut commettre personnellement des infractions à l’occasion de son activité. Il peut commettre des abus de biens sociaux, des escroqueries, des fraudes fiscales, être coupable de publicité mensongère etc. (ex. faute personnelle commise par un dirigeant d’entreprise : abus de biens sociaux dès lors qu’il a engagé la détective privée pour surveiller son épouse en la réglant au moyen d’un compte bancaire ouvert au nom de l’entreprise. Hypothèse qui ressort de l’article 121-1 du Code Pénal).
Sa spécificité réside dans le fait que les chefs d’entreprise sont tenus de faire respecter la loi et les règlements.
Or, la commission d’une infraction par un employé démontre que le dirigeant a failli à ses obligations de surveillance et de contrôle, donc l’infraction est imputable au dirigeant et sa responsabilité pénale est engagée. On reproche à l’employeur une faute personnelle de négligence, d’imprudence, d’inobservation des règlements... etc. En effet, le dirigeant est investi d’un devoir général de contrôle. Il doit veiller à l’application de toutes les dispositions légales ou réglementaires, générales ou spéciales applicables à son entreprise. Si un salarié viole une de ces dispositions, c’est que le chef d’entreprise n’a pas su veiller au bon fonctionnement de son entreprise.
La doctrine retient principalement l’analyse d’une responsabilité personnelle du chef de l’entreprise déclenchée par le fait d’autrui.
Le fondement de cette responsabilité particulière, contrairement au droit civil, ne résulte pas de la notion de risque même si le chef d’entreprise créée des risques et en retire des profits. Cette responsabilité du dirigeant s’explique plutôt par la théorie du pouvoir qui est liée à l’exercice des prérogatives du chef d’entrepris pour assurer la gestion de son activité. Cette théorie contrairement à la théorie du risque qui est objective, reste subjective puisqu’elle repose sur l’idée de faute.
Conditions
Nécessité d’une infraction commise par le préposé.
Il faut en premier lieu une infraction commise par un salarié, par un préposé, dans le cadre de ses fonctions, et cette infraction doit consister en la violation de dispositions impératives applicables à l’entreprise. Il peut s’agir d’un acte positif, d’une infraction de commissions (ex. pollution d’un cours d’eau par une fausse manœuvre), mais il peut aussi s’agir d’une abstention, d’une infraction d’omission (ex. non respect de certaines règles liées à la sécurité, un salarié qui ne met pas son casque alors que ce casque est obligatoire... etc.). En règle générale, cette infraction est non intentionnelle, mais la JP de façon critiquable a pu admettre la responsabilité du chef d’entreprise en cas de faute intentionnelle de son préposé (ex. en cas de tromperie au sujet de la marchandise). Il est certain que la responsabilité du dirigeant n’exclut pas pour autant la responsabilité pénale du préposé auteur de l’infraction.
Il peut y avoir cumul de responsabilités.
Les juges peuvent poursuivre et le dirigeant, et le préposé, en cas de fautes distinctes, mais souvent la responsabilité du dirigeant sera seule engagée.
Nécessité d’une faute du chef d’entreprise
La responsabilité du dirigeant ne peut en effet être encourue que s’il a manqué à l’obligation de surveillance ou de contrôle qui caractérise ses fonctions. On a noté une évolution importante s’agissant de la qualification de cette faute du dirigeant : dès les premiers grands arrêts au départ, la JP a présumé la faute de l’entrepreneur dès que l’infraction était commise par le préposé, et considérait même qu’il s’agissait d’une présomption irréfragable, insusceptible de tomber devant la preuve de l’absence de faute, de contrôle ou de surveillance. Cette JP, sous l’influence de diverses lois (en particulier sous l’influence de la loi de 1996), exigeant la preuve de la faute, a adouci le caractère de la présomption pour la transformer au fil de cette évolution en présomption simple. En pratique les tribunaux, tout en relevant l’exigence d’une faute personnelle continuaient d’admettre assez facilement la responsabilité pénale du dirigeant (ex. lorsqu’un dirigeant laisse un ouvrier inexpérimenté utiliser du matériel dangereux, lorsqu’un dirigeant omet de mettre en place un système de protection ou fournit un système de protection insuffisant... etc. ce dirigeant est considéré comme ayant commis une faute personnelle qui va engager sa responsabilité). En revanche la relaxe du dirigeant restait possible en cas de faute exclusive du salarié ou de la victime. Parfois, le salarié et la victime peuvent être confondues (ex. désobéissance du salarié qui conduit un chariot élévateur). Cette cause d’exonération est toujours valable aujourd’hui. La matière a été très sensiblement modifiée par la loi Fauchon de 2000 qui a tenté d’enfermer la responsabilité pénale des dirigeants dans de plus justes limites, même si cette loi visait surtout à limiter la responsabilité des élus et des agents publics. La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du CP exige de nouvelles conditions qui combinent l’existence du lien de causalité et l’importance de la faute (plus le lien de causalité est distant, plus la faute doit être caractérisée).
Cet article introduit une distinction en cas de causalité directe et en cas de causalité indirecte.
<En cas de causalité directe entre la faute et le dommage, une faute d’imprudence suffit, mais ce texte impose d’établir que l’auteur n’a pas satisfait aux exigences normales qui s’imposaient à lui. La charge de la preuve revient au ministère public.
<En cas de causalité indirecte entre la faute et le préjudice, il est nécessaire de rapporter la preuve d’une faute qualifiée, soit d’une faute délibérée (consiste dans la violation délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par un texte), soit d’une faute caractérisée (exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’on ne pouvait ignorer).
Le nouveau texte s’adresse évidemment aux chefs d’entreprise, puisque qu’il vise les personnes physiques. En réalité, l’acte matériel étant commis dans tous les cas par le salarié, le dirigeant n’est toujours qu’un auteur indirect. Dans la plupart des cas, la preuve d’une faute qualifiée doit depuis 2000 être rapportée pour engager la responsabilité du dirigeant. Il reste néanmoins la question des infractions qui n’impliquent pas l’existence d’un préjudice et qui ne relèvent pas du cadre de l’article 121-3 (ex. publicité mensongère : pas de préjudice direct car on décèle et punit l’infraction avant qu’elle ait commis un dommage). On en revient alors dans ce cas à la JP traditionnelle qui décide que la survenance de l’infraction établira la faute du chef d’entreprise qui n’a pas pris toutes les précautions pour l’éviter. Il appartiendra au chef d’entreprise de rapporter la preuve inverse selon laquelle il n’a pas failli à ses obligations de contrôle et de surveillance.
Cause d’exonération : la délégation de pouvoirs
Pour la JP et la loi, le chef d’entreprise est celui qui exerce effectivement le pouvoir de gestion et de direction de l’entreprise (ex. gérant d’une SARL, président d’une association, d’un employeur individuel). Conscients qu’il est parfois très difficile de veiller matériellement à l’application des lois dans l’entreprise, les tribunaux admettent que le dirigeant délègue ses pouvoirs de surveillance et de contrôle à l’un de ses subordonnés. On le lui conseille même parfois, car il sera présumé en faute s’il ne procède pas à cette délégation de pouvoir lorsque les circonstances l’exigent.
En cas de délégation, la responsabilité pèsera sur le délégué.
Cependant, la JP reste sévère et restrictive quant aux conditions et aux effets de cette délégation.
Le domaine de la délégation.
Le domaine de la délégation a varié au cours de l’évolution jurisprudentielle.
Traditionnellement, les magistrats admettaient la possibilité d’une délégation dans de très nombreux secteurs.
Néanmoins, il restait un domaine qui ne supportait pas la délégation : il s’agissait précisément des infractions à la législation économique. En effet, en matière économique, les tribunaux estimaient que le chef d’entreprise ne pouvait s’exonérer que si la délégation de pouvoir était prévue par un texte spécial en matière économique. D’autre part, les magistrats considéraient que les obligations spécifiquement économiques appartenaient par nature au pouvoir propre d’administration générale du chef d’entreprise, et ne pouvaient donc être déléguées. Ces deux motifs justifiant le refus de la délégation en matière économique ont été balayés par 5 arrêts de la Cour de Cassation rendus le 11 mars 1993. Dans ces arrêts, la Cour de Cassation décide que sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs. La portée du revirement est significative puisque la chambre criminelle adopte la thèse inverse : désormais, la délégation est possible dans toutes les matières, même économiques, sauf si la loi en dispose autrement. Cependant depuis peu, certains commentateurs avisés notent un retour des exceptions s’agissant du fonctionnement des institutions représentatives du personnel au sein des entreprises.
Par exemple, dans un arrêt du 15 mai 2007, pour des délits d’entrave aux institutions représentatives du personnel, la Cour de Cassation considère que ces infractions mettent en cause ce qu’elle dénomme des « mesures ressortissant au pouvoir propre de direction » et refuse au chef d’entreprise l’argumentation tirée d’une délégation de pouvoir.
Cette solution a été réaffirmée dans un arrêt du 6 novembre 2007. Le retour des exceptions, s’il se confirme, doit être limité, au risque de frapper d’inefficacité la délégation de pouvoir alors qu’elle s’aère souvent indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise.
Les conditions de la délégation.
Pour qu’elle soit valable, la délégation doit être objectivement justifiée par exemple par la taille de l’entreprise qui doit être suffisamment importante pour justifier une délégation. Le dirigeant ne doit pas être en mesure d’assurer lui-même toutes les missions de surveillance et de contrôle. Il n’y a pas de seuil prédéfini qui justifierait une délégation et ce sont les magistrats qui vont apprécier au cas par cas en fonction de différents critères (ex. nombre de salariés, forme de l’entreprise...etc.) si la délégation est justifiée. La délégation doit être certaine, dépourvue d’ambigüité, explicite et antérieure à la commission de l’infraction. Pour ce qui est du caractère temporel, une délégation qui serait consentie le jour même où l’infraction est réalisée ne rempliera pas son rôle exonératoire. Pour ce qui est du caractère ambigu, une délégation qui accorde les mêmes pouvoirs à plusieurs salariés ne justifiera pas une exonération.
La preuve de la délégation est libre, elle peut se faire par tous moyens et ne suppose donc pas un écrit.
Il faut qu’elle soit certaine et explicite. On retiendra que les délégations générales ne sont pas admises car on estime que le dirigeant ne peut se décharger totalement de ses fonctions de direction. En d’autres termes, la délégation doit être partielle et limitée à des missions précises. On va déléguer ces missions de contrôle, de sécurité, de surveillance, mais on ne va pas déléguer l’ensemble des pouvoirs de direction. En ce qui concerne le délégataire (bénéficiaire de la délégation), la JP affiche des exigences : la délégation doit être accordée à une personne dotée de la compétence et de l’autorité nécessaire à l’exercice de la mission déléguée. Autre exigence, le délégué doit avoir les moyens d’assurer effectivement les missions qui lui sont dévolues.
Les effets de la délégation.
Si toutes ces conditions sont remplies, la délégation va produite un effet principal qui est l’exonération. Avec l’exonération, le chef d’entreprise n’est plus responsable pénalement de infraction commise par son salarié. A savoir que les poursuites doivent être dirigées contre le délégué et lui seul. Car en présence d’une délégation, les magistrats ne peuvent à la fois condamner le dirigeant et le délégué pour l’infraction commise par le salarié.
On parle dans ce cas de transfert de la responsabilité pénale sur lé délégué.
Les tribunaux admettent la validité des subdélégations : on va admettre qu’un délégué puisse déléguer en partie certaines des missions qui lui avaient été initialement confiées. Il suffira, que le délégué en accord avec le chef d’entreprise transfère tout ou partie de ses pouvoirs à un salarié doté des moyens matériels nécessaires à sa mission. Le subdélégué devient responsable des infractions commises par les salariés qui sont soumis à sa sphère d’autorité.
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Bjr, quelle est la différence fondamentale entre l’erreur de droit et l’erreur de fait?
Bonjour ! L’erreur de fait est l’erreur qui porte sur une appréciation erronée des circonstances entourant l’infraction. Dans l’autre cas, l’individu en question ne savait pas que ce comportement était interdit par la loi, il s’agit d’une méconnaissance de la loi sans volonté de la contourner.