Le Mediator® (chlorhydrate de benfluorex) est un médicament autorisé en 1976, initialement classifié et prescrit en tant qu’hypolipidémiant. Son indication a été validée en 1987 en tant qu'adjuvant dans les régimes adaptés aux personnes avec des hypertriglycéridémies. Puis en 1990 est validée une nouvelle indication en diabétologie: "adjuvant au régime adapté pour les personnes diabétiques en surcharge pondérale". En 1998, le laboratoire a sollicité auprès de l’Afssaps une nouvelle indication thérapeutique dans le traitement du diabète de type 2 en première ligne. Cette indication n’avait alors pas été accordée, pour insuffisance de données d’efficacité, notamment par rapport à d’autres traitements antidiabétiques oraux de type 2 comme la metformine. La démarche de réévaluation des études d’efficacité a alors été poursuivie et a conduit en 2007 à retirer l’indication comme adjuvant au régime dans les hypertriglycéridémies, sur la base d’une nouvelle étude effectuée dans l’intervalle. En 2009, une nouvelle étude visant à objectiver l’efficacité du benfluorex en ajout d’un autre antidiabétique (Etude Regulate), comportait également un volet concernant la sécurité de ce médicament notamment quant à d’éventuels effets indésirables dans le domaine cardio-vasculaire. On recherchait alors de potentiels effets pouvant conduire à des Hypertensions Artérielles Pulmonaires et des fuites valvulaires cardiaques. Ce sont d’ailleurs également les résultats de cette étude qui ont contribué à la décision de retrait du marché de ces spécialités en novembre 2009.
LA CONCLUSION
Parvenue au terme de son travail, la mission, avant même de présenter quelques enseignements
 et pistes de réflexion, tient à mettre en avant les éléments les plus importants du constat dressé dans
 ce rapport :
  Le déroulement des événements relatés dans ce rapport est très largement lié au
 comportement et à la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus
 sans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la
 commercialisation du MEDIATOR® et pour en obtenir la reconnaissance en qualité de
 médicament anti-diabétique. Pour reprendre une expression revenue à plusieurs reprises
 dans les témoignages recueillis par la mission, cette firme a « anesthésié » les acteurs de la
 chaîne du médicament et même, selon deux anciens présidents de commission d’AMM,
 elle les a « roulés dans la farine » ;
  A aucun moment pendant cette longue période, aucun des médecins experts
 pharmacologues, internes ou externes à l’Agence, n’a été en mesure de conduire un
 raisonnement pharmacologique clairvoyant et d’éclairer ainsi les choix des directions
 générales successives ;
  Surchargée de travail, empêtrée dans des procédures juridiques lourdes et complexes, en
 particulier à cause de l’articulation de ses travaux avec l’Agence européenne, bridée par la
 crainte des contentieux avec les firmes, l’Agence est apparue à la mission, dans le cas
 étudié, comme une structure lourde, lente, peu réactive, figée, malgré la bonne volonté et le
 travail acharné de la plupart de ses agents, dans une sorte de bureaucratie sanitaire ;
  Un certain nombre d’anomalies majeures de fonctionnement ont été identifiées, en
 particulier la confirmation à la firme d’une autorisation de mise sur le marché en 1997,
 contraire à la décision prise quelques mois auparavant, notification qui n’a pu être prise
 que sur l’instruction d’un des responsables de la direction de l’évaluation ;
  Le dispositif de pharmacovigilance a failli à sa mission, qui est d’identifier et d’instruire,
 dans un délai raisonnable, et afin d’éclairer la décision des responsables sanitaires, les cas
 d’effets indésirable graves liés à l’usage du médicament. La raison principale de cet échec
 collectif est à rechercher dans l’insuffisance de culture de santé publique et en particulier
 dans un principe de précaution fonctionnant à rebours ;
  Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’alerte dans cette affaire soit venue de
 l’extérieur : de la revue Prescrire, du Dr Irène Frachon, de Catherine Hill et du Dr Alain
 Weill, pour ce qui concerne la dangerosité du médicament, ce qui a permis son retrait ; et
 de Flore Michelet et du Dr Gérard Bapt, pour ce qui concerne l’impact en termes de
 mortalité ;
  La multiplicité des instances sanitaires chargées du médicament, leur cloisonnement et la
 complexité de leur fonctionnement rendent le système lent, peu réactif et contribuent à une
 dilution des responsabilités ;
  Quant à la politique de remboursement des médicaments dont sont responsables les
 ministres, elle apparaît sous un jour paradoxal : c’est pour des raisons telles que la défense
 des prescripteurs et des patients que la politique de déremboursement a été étalée sur
 presque une décennie. La réalité veut, dans le cas présent, que cet objectif allégué ait
 conduit au résultat inverse.
 Même si la seconde partie de son travail sera consacrée à définir et à présenter les grandes
 lignes d’un système de pharmacovigilance rénovée, la mission tient d’ores et déjà à mettre l’accent
 sur quelques enseignements qui lui paraissent essentiels :
  La sécurité sanitaire est un métier difficile et exigeant. La vigilance sanitaire est une
 responsabilité fatigante, usante, qui conduit à travailler chaque jour sous la pression. Etre
 vigilant suppose d’être informé, d’être réactif, d’avoir la disponibilité d’esprit nécessaire,
 de savoir entendre et écouter les opinions minoritaires et d’être capable d’admettre que l’on
s’est trompé ou que l’on se fourvoie dans un raisonnement convenu. C’est pourquoi la
 mobilité des personnes est indispensable dans ce domaine ;
  L’exercice de ce métier est fortement influencé par l’environnement intellectuel et
 médiatique. Or, depuis plusieurs années se sont multipliées les prises de position publiques
 pour dénoncer une hypothétique « tyrannie du principe de précaution ». Dans cette affaire
 comme dans d’autres passées et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès de principe
 de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution ;
  La chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie
 non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il en va ainsi de l’autorisation de
 mise sur le marché qui est conçue comme une sorte de droit qu’aurait l’industrie
 pharmaceutique à commercialiser ses produits, quel que soit l’état du marché et quel que
 soit l’intérêt de santé publique des produits en question. La réévaluation du bénéfice/risque
 est considérée comme une procédure exceptionnelle. La prise en compte du risque
 nécessite de fortes certitudes scientifiques, l’existence d’un bénéfice étant, elle, facilement
 reconnue. Dans ces conditions, le retrait d’une AMM est perçu comme une procédure de
 dernier recours et comme une sorte de dédit pour la commission qui a accordé
 l’autorisation ;
  L’Agence est trop souvent caractérisée dans son fonctionnement, par, pour reprendre une
 expression entendue plusieurs fois, une « accoutumance au risque ». Cette accoutumance
 est incompatible avec l’exercice d’une mission de sécurité sanitaire ;
  Le fonctionnement des commissions de l’AMM et de la pharmacovigilance est marqué par
 la recherche d’un consensus scientifique, ce qui conduit en l’occurrence à un allongement
 des délais nécessaires à la prise de décision. Le rôle des demandes successives d’études
 pour alimenter ce processus a des effets pervers graves. C’est particulièrement frappant
 dans le cas du MEDIATOR® où les laboratoires Servier ont multiplié ce type de
 démarches. A ceci s’ajoute un légalisme qui, concernant une agence qui prend 80 000
 décisions par an, conduit à un enlisement de trop de dossiers ;
  S’ajoute à ceci, malgré les progrès accomplis dans ce domaine depuis 1993, le poids des
 liens d’intérêt des experts contribuant aux travaux de l’AFSSAPS (annexe n°). Il s’agit des
 liens d’intérêts financiers ou d’autres natures tels qu’ils devraient être signalés à l’Agence,
 ce qui n’est pas à l’heure actuelle systématiquement le cas, selon les déclarations mêmes de
 l’actuel président de la commission d’AMM. Or ces règles procédurales ont été établies dès
 1993 lors de la création de l’Agence. Il n’est que temps de les faire appliquer « sans faille
 et sans exception », pour reprendre l’expression de Jean Marimbert, directeur général de
 l’AFSSAPS. Aux yeux de la mission, cette conception des liens d’intérêt doit être élargie.
 Elle doit d’abord être envisagée dans le temps. Deux des responsables les plus importants
 de l’Agence, au moins, ont ainsi contracté, après avoir quitté leurs fonctions respectives,
 des liens financiers avec les laboratoires Servier. Dans ces 2 cas, il s’agissait de professeurs
 des universités-praticiens hospitaliers, médecins dont le statut les met pour l’heure à l’abri
 de la commission de déontologie, qui s’est déclarée en 2000 incompétente en la matière.
 Ceci souligne, et c’est la seconde priorité, la nécessité d’élargir le champ actuel des
 situations imposant la déclaration de liens d’intérêt. La mission souhaite que tous les agents
 publics ayant à connaître des questions liées aux médicaments soient tenus de déclarer de
 tels liens. Il doit en être en particulier ainsi pour les membres des cabinets ministériels.
 C’est là un point important que devra traiter la Commission de réflexion pour la prévention
 des conflits d’intérêts dans la vie publique. De manière plus globale, l’AFSSAPS, qui est
 une agence de sécurité sanitaire, se trouve à l’heure actuelle structurellement et
 culturellement dans une situation de conflit d’intérêt. Pas en raison de son financement qui
 s’apparente à une taxe parafiscale, mais par une coopération institutionnelle avec
 l’industrie pharmaceutique qui aboutit à une forme de coproduction des expertises et des
 décisions qui en découlent. A cet égard, la présence encore aujourd’hui d’un représentant
 institutionnel du LEEM (Les entreprises du médicament) dans les commissions, et parfois
 les groupes de travail, parait inacceptable.
Toutes ces considérations ne doivent pas faire oublier la place décisive qui est celle des
 diverses communautés scientifiques et médicales dans la construction des décisions
 publiques. Toutes les décisions prises au sein de l’Agence, mais aussi par la Haute autorité
 de santé, sont préparées par des experts qui rendent leurs avis. Tous ces médecins sont
 associés très étroitement au processus de décision. Là aussi de très graves défaillances,
 pour certaines d’entre elles incompréhensibles, ont été relevées par la mission. Pour
 prendre l’exemple du MEDIATOR®, il est inadmissible d’avoir programmé en décembre
 2010 une table ronde sur « benfluorex et valvulopathies », dans le cadre des journées
 européennes de cardiologie, présidée par les Prs. G. Derumeaux et B. Iung. Ces deux
 experts, un an auparavant, avaient été mandatés pour représenter les laboratoires Servier au
 sein de la Commission nationale de pharmacovigilance et de la commission d’AMM de
 l’AFSSAPS portant sur le MEDIATOR® (benfluorex). Les présidents de cette table ronde
 ont depuis décidé de ne pas y participer.
La mission à l’issue de cette première phase, malgré ses critiques sévères à l’égard du système
 de gestion du médicament, élaborées encore une fois à partir d’un cas particulier, tient à souligner
 que le système de notification des cas par les professionnels de santé aurait pu permettre le retrait
 du MEDIATOR® dès 1999 si le principe de précaution s’était appliqué. A ce stade, la mission
 insiste sur le rôle essentiel des professionnels de santé et des patients qui doivent être davantage
 associés à ces démarches, pas seulement en ce qui concerne la déclaration des cas. Rappelons que
 dans d’autres domaines de la santé publique, les patients sont représentés au niveau des conseils
 d’administration des institutions. La mission s’attachera également, dans sa deuxième étape à
 mieux caractériser et fiabiliser notamment les outils de la pharmacovigilance, avec une attention
 particulière apportée aux bases de données disponibles. Malgré les très lourds constats de cette
 première étape, elle espère pouvoir contribuer à la mise en oeuvre d’un système entièrement tourné
 vers les intérêts du patient et de la santé publique.











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