Chapitres
- Un choix d’énonciation unique
- Les mots, au cœur du travail autobiographique
- Un humour indéniable
- Plus qu’un jeu, un travail d’analyse
- Une analyse des « tropismes » de l’enfance
- Une part de crainte et de méfiance vis-à-vis du langage
- Une œuvre majeure pour le courant de l’époque : le Nouveau Roman
- Synthèse
Roman autobiographique de Nathalie Sarraute, Enfance fut publié en 1983. C’est donc une œuvre que l’auteur réalisa vers la fin de sa vie (1900 – 1999). À cette époque, Nathalie Sarraute était déjà connue pour plusieurs de ses œuvres, dont des essais, des romans et des pièces de théâtre :
- Tropismes
- L’ère du soupçon
- Les fruits d’or (une œuvre qui lui vaudra le très prestigieux prix international de Littérature en 1964)
- Pour un oui ou pour un non
Or dès sa publication, ce roman marqua ses contemporains du fait de son originalité. Nous allons ici vous expliquer pourquoi.

Un choix d’énonciation unique
Si Enfance est une œuvre unique, c’est qu’au niveau de sa forme, Nathalie Sarraute a décidé de sortir des schémas traditionnels. Dans son autobiographie, au lieu de simplement tout relater à la première personne du singulier, elle a fait le choix de se dédoubler. La narration est ainsi tenue par le dialogue de deux voix, représentant toutes deux l'auteur, mais qui incarnent des postures différentes à l’égard du travail de mémoire. L’une de ces voix conduit le récit, délivre les souvenirs sur ses onze premières années, passées entre la France, la Russie et la Suisse, tandis que l’autre joue le rôle du critique. Un narrateur critique qui commente ses choix d’écriture, qui la protège de la tentation des simples effets de styles littéraires, qui la met en garde sur les possibles excès d’interprétation, ou au contraire, qui l’encourage à approfondir certains passages.
Pour exemple, vers le début du roman, la « voix critique » de Nathalie Sarraute met en garde la « voix narratrice » sur sa tendance à noircir l’image de sa mère, et lui rappelle un moment plus doux :
« - Sois juste, il lui est arrivé, pendant cette maladie de venir s’asseoir près de ton lit avec un livre.
- C’est vrai … »
La plupart des anecdotes relatées par l’auteur sont ainsi enrichies des commentaires de cette seconde voix, son double, sa voix d’écrivain. Cette nouvelle méthode, inventée par Nathalie Sarraute, pousse alors le lecteur à réfléchir sur les difficultés qui se posent à l’élaboration d’une autobiographie.
La démarche de Nathalie Sarraute est d'ailleurs inscrite sur la quatrième de couverture, prévenant le lecteur : Ce livre est écrit sous la forme d'un dialogue entre Nathalie Sarraute et son double qui, par ses mises en garde, ses scrupules, ses interrogations, son insistance, l'aide à faire surgir « quelques moments, quelques mouvements encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs (...) ouatées qui se défont et disparaissent avec l'enfance ».

Les mots, au cœur du travail autobiographique
L’autobiographie de Nathalie Sarraute se distingue aussi par son contenu. En plus de sa forme, Enfance est aussi un ouvrage original au niveau de son sujet. En effet, Nathalie Sarraute ne s’applique pas à simplement relater ses souvenirs d’enfance. Ses souvenirs, pour elle, sont d’abord une question de vocabulaire. Elle nous raconte ici sa rencontre avec les mots et la résistance qu'ils lui opposent.
Bien que mal à l'aise au milieu des mots, elle teste différents procédés d'appropriation du langage qui l'éloignent du roman conventionnel.
Un humour indéniable
Si certains passages apparaissent comme pathétiques, l'humour de Sarraute, écrivain adulte face à cette apprentie maladroite, n'est jamais loin. Un humour qu'elle jugeait indispensable pour éviter la chute dans un lyrisme émouvant et excessif, trop personnel pour intéresser le lecteur.
Sarraute joue avec les mots. Ce jeu commence par l'écriture manuelle : le tracé sur la page qui constitue le point de départ de cette recherche.
Il faut dire que les mots lui viennent facilement du fait de son milieu social et de sa culture. Cependant elle reconnaît deux catégories propres aux mots qu’elle emploie : « les mots de chez moi » et ceux qu'elle considère avoir acquis « loin de chez moi », « qui vivent ailleurs ».
Pour Nathalie Sarraute, chaque mot va donc avoir une importance capitale. Elle les choisit avec minutie et explique souvent ses choix. Cette recherche tend même à la perfection avec des essais différents : « Je me tends vers eux…. Je m'efforce avec mes faibles mots existants de m'approcher plus près d'eux, de les tâter… ». À ce moment-là, le glissement s'est opéré et les mots sont associés à des personnages. La frontière qui existe entre l'enfant et les personnages est la même qui sépare les mots de Sarraute de la littérature.
Mais quand il faut choisir les mots, l’opération peut parfois se révéler compliquée. « Les mots de chez moi » sont faciles mais ils détonnent. Les autres, plus rebelles, sont plus difficiles à manipuler. Écrire c'est donc d'abord recevoir des mots. Il faut que l'enfant s'habitue à eux et s'approprie leurs sens.
Or Nathalie Sarraute se rend compte que le langage courant n'a pas sa place en littérature. Elle fait déjà la différence entre les mots qu'elle connaît, le langage courant, usuel et celui qu'elle a du mal à connaître, à utiliser, le langage soutenu. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de l'éducation que de diminuer la deuxième catégorie au profit de la première.
Plus qu’un jeu, un travail d’analyse
L'enfant comme plus tard l'écrivain adulte, joue avec la mobilité des mots et l'effet recherché. Après la recherche du mot juste, l'apprentie écrivain s'exerce à se déplacer dans un souci d'harmonie, d'effet de style. Nathalie ne se contente pas de jouer mais elle se livre à de véritables expériences et ses tentatives méthodiques sont surprenantes pour une enfant, même si l'analyse reste le fait de l'adulte.
Pour exemple, l'emploi du mot « fougueux » donne une idée de ce travail. Elle sent bien que cet adjectif correspond bien à la fuite des deux amants, mais elle s'interroge sur le sens du mot qui prend « un drôle d'aspect, un peu inquiétant, mais tant pis… ». Nathalie prend ici conscience de l'alchimie du langage. Nous assistons en direct au travail de l'écrivain précoce : le mot donne vie au personnage, par lui l'image s'impose et l'action est transcrite au présent.
Le jeu n'est d'ailleurs nullement stérile ou purement intellectuel. Il devient sensuel pour cette enfant qui prend soin de s' « approcher plus près, tout près, de les tâter, de les manier … ». Il s'agit d'un jeu dynamique mais qui fait appel aux sentiments. C'est un mélange caractéristique de l'enfance où le mouvement et l'affectivité déterminent les actions.
Déjà pour la fillette l'écriture n'est pas le fruit d'une inspiration plus ou moins imaginaire mais le résultat d'un travail qui allie recherche et manipulation. Sa méthode semble donc très différente de celle de sa mère, Pauline Chatounovski, une écrivaine qui publia nouvelles et romans sous le pseudonyme de Vichrovski et qui, pour sa part, lui sembla avoir toujours écrit avec une apparente facilité.
La méthode de l'enfant semble surprenante mais n'oublions pas que c'est l'écrivain adulte qui rappelle cette scène et offre une analyse qui ne peut rester indépendante de son vécu littéraire. On rejoint ici l'un du gros problème de l'autobiographie. La vérité est-elle offerte par le recul pris par l’adulte ?

Une analyse des « tropismes » de l’enfance
Pour Nathalie Sarraute, tout ce travail d’analyse tend notamment vers un but précis : ressusciter les tropismes de l’enfance. Autrement dit, révéler et faire ressurgir les émotions qui sont restées informulées durant son enfance. Des mouvements intérieurs qu’elle considère utiles pour comprendre ce qu’elle a vécu. C’est là que le regard et l’expérience de l’écrivain adulte va aider l’enfant qu’elle était, non capable à l’époque d’évoquer précisément ses émotions d’alors.
« Cela ne pouvait pas m’apparaître tel que je le vois à présent, quand je m’oblige à cet effort … dont je n’étais pas capable… quand j’essaie de m’enfoncer, d’atteindre, d’accrocher, de dégager ce qui est resté là, enfoui. »
Une part de crainte et de méfiance vis-à-vis du langage
Dans ce texte, c'est le sentiment de crainte qui prédomine. La crainte face aux mots, la crainte de sa création. Pour elle l'écriture relève de la magie, la magie du geste, la magie qui permet de faire vivre et mourir les personnages, la magie du sens du mot, la magie des différents niveaux de langues…. Personnages et mots sont ainsi sous l'effet d'un phénomène qui échappe à l'enfant.
La crainte emporte alors l'enfant dans un monde inconnu où elle est égarée, elle erre. Du haut de son égocentrisme enfantin, l'enfant hésite entre un « chez moi » et un « loin de chez moi » attirant, entre ses mots habituels et ceux inconnus.
Le processus de création littéraire reste donc avant pour Nathalie Sarraute une expérience émotive. Toutes ses phrases sont teintées d’une incroyable sensibilité. Ses sentiments traduisent son activité psychique, ses tiraillements, ses contradictions. L'emploi fréquent du conditionnel rappelle d’ailleurs le fonctionnement du jeu chez l'enfant, ou l'irréel du rêve. Quant au présent, il ne correspond pas au présent de narration. On peut le rapprocher davantage du présent de vérité générale qui place ce récit dans l'intemporel du conte et des romans universels.

Une œuvre majeure pour le courant de l’époque : le Nouveau Roman
Cette jeune littéraire, tant par ses lectures que par ses modèles, pose ainsi déjà les bases de la méthode qu'elle utilisera adulte. Pour elle la littérature passe par une écriture avant tout formée sur un emploi très précis des mots, mais également par le travail, l’ébauche, l’expérimentation. Refusant l'image de l'écrivain simplement inspiré, elle insiste sur la difficulté du travail de création littéraire.
L'évocation de la magie et de l'envoûtement est aussi teintée d'humour. En fait comme l'a annoncé dans l'incipit, l'écriture est une longue marche.
Synthèse
Comme nous l'avons noté, on retrouve chez l'enfant, la méthode d'écriture de Nathalie Sarraute en tant qu’écrivain :
- La ponctuation et le style syncopés car lié au mouvement intérieur
- L'humour et l’esprit d’analyse
- Le refus de l’embellissement du souvenir par des effets littéraires, s’éloignant du vécu réel
- Et surtout la recherche du mot le plus juste possible
Ces caractéristiques deviendront plus tard les exigences des nouveaux romanciers. Sous une forme imagée et hésitante, elle révèle la difficulté que rencontre l'écrivain à retranscrire la réalité. Si l'enfant essaie de concevoir de belles histoires, elle est surtout confrontée la magie des mots et à leur résistance. Dans cet extrait, l'auteur transmet ainsi sa façon de voir la création littéraire.
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Je voudrais écrire une article sur l’étude de l’autobiographie, la narration et deux voix narrateur Dans l’Enfance de Nathalie Sarraute . Est ce que vous pouvez m’aider Dans l’écriture de cet article. Je suis l’étudiante de doctorat de la langue et littérature française.
Bonjour, nous ne faisons pas les devoirs des élèves mais si n’hésitez pas à contacter l’un de nos professeurs si vous désirez de l’aide personnalisée 🙂
Bonjour, a quelle page de ce livre est ce que je pourrais trouver un passage différents où l’interlocutrice intervient pour :
– conseiller l’auteure
-aider l’auteure à retrouver un souvenir ou l’approfondir
– commenter un souvenir ou une remarque de l’auteure
-contredire voire disputer l’auteure ?
et enfin où a quelle page se situe le moment de l’opération qui se poursuit avec l’appréciation que l’enfant a pour elle ?
Merci !
A partir de « Enfin ,un matin …….qui disparaissent avec l’enfance aidez moi svp
Bonjour, que souhaitez-vous faire avec cet extrait ?
Bonne journée.
Bjr ,vous pouvez m’aider svp
Pourquoi l’enfance représente pour elle un terrain d’exploration privilégié ?
Bonjour, l’enfance est le territoire des souvenirs par excellence, qui permet, à hauteur d’adulte, de mener une rétrospective sur soi, sur ce que l’on est devenu, mais aussi sur le rôle que nos proches ont pu jouer un jour. Un conte de soi comme une véritable exploration, qui permet d’aller aux confins de son identité. Et au fond, c’est peut-être ce qui nous intéresse tous/toutes le plus.
Bonne journée.
Merci, je suis tombé sur cet article et je n’ai qu’une envie, c’est de lire ce livre. J’aime écrire, et cette voie qu’elle apporte est une voie difficile, qui pousse à creuser son chemin d’écriture, sans se contenter de faire une belle rédaction pour une maîtresse d’école ou pour un éditeur c’est pareil. Merci encore, je vais poursuivre mes recherches sur Nathalie Sarraute en allant chez un libraire.
Bonjour ! Rien ne pouvait nous faire plus plaisir que de lire votre commentaire, merci à vous pour votre fidélité !
Bonne journée, et bonne lecture !