Chapitres
Melancholia (version intégrale)
Écoutez.
 Une femme au profil décharné,
 Maigre, blême,
 portant un enfant étonné,
 Est là qui se
 lamente au milieu de la rue.
 La foule, pour l'entendre, autour
 d'elle se rue.
 Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien
 Son
 mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien;
 Pas d'argent; pas de
 pain; à peine un lit de paille.
 L'homme est au cabaret
 pendant qu'elle travaille.
 Elle pleure, et s'en va. Quand ce
 spectre a passé,
 O penseurs, au milieu de ce groupe
 amassé,
 Qui vient de voir le fond d'un coeur qui se
 déchire,
 Qu'entendez-vous toujours? Un long éclat de
 rire.
Cette fille au doux front a cru peut-être, un
 jour,
 Avoir droit au bonheur, à la joie, à
 l'amour.
 Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre
 fille!
 Seule! -- n'importe! elle a du courage, une aiguille!
 Elle
 travaille, et peut gagner dans son réduit,
 En travaillant
 le jour, en travaillant la nuit,
 Un peu de pain, un gîte,
 une jupe de toile.
 Le soir, elle regarde en rêvant quelque
 étoile,
 Et chante au bord du toit tant que dure l'été.
 Mais
 l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité,
 Dans
 ce logis mal clos tout en haut de la rampe;
 Les jours sont courts,
 il faut allumer une lampe;
 L'huile est chère, le bois est
 cher, le pain est cher.
 O jeunesse! printemps! aube! en proie à
 l'hiver!
 La faim passe bientôt sa griffe sous la
 porte,
 Décroche un vieux manteau, saisit la montre,
 emporte
 Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or;
 Tout
 est vendu! L'enfant travaille et lutte encor;
 Elle est honnête;
 mais elle a, quand elle veille,
 La misère, démon,
 qui lui parle à l'oreille.
 L'ouvrage manque, hélas!
 cela se voit souvent.
 Que devenir? Un jour, ô jour sombre!
 elle vend
 La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et
 pleure;
 Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meurt!
 A
 dix-sept ans! grand Dieu! mais que faire?... -- Voilà
 Ce
 qui fait qu'un matin la douce fille alla
 Droit au gouffre, et
 qu'enfin, à présent, ce qui monte
 A son front, ce
 n'est plus la pudeur, c'est la honte.
 Hélas, et maintenant,
 deuil et pleurs éternels!
 C'est fini. Les enfants, ces
 innocents cruels,
 La suivent dans la rue avec des cris de
 joie.
 Malheureuse! elle traîne une robe de soie,
 Elle
 chante, elle rit... ah! pauvre âme aux abois!
 Et le peuple
 sévère, avec sa grande voix,
 Souffle qui courbe un
 homme et qui brise une femme,
 Lui dit quand elle vient: -C'est
 toi? Va-t'en, infâme!-
Un homme s'est fait riche en
 vendant à faux poids;
 La loi le fait juré. L'hiver,
 dans les temps froids,
 Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa
 famille.
 Regardez cette salle où le peuple fourmille;
 Ce
 riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien.
 C'est juste,
 puisque l'un a tout et l'autre rien.
 Ce juge, -- ce marchand, --
 fâché de perdre une heure,
 Jette un regard distrait
 sur cet homme qui pleure,
 L'envoie au bagne, et part pour sa
 maison des champs.
 Tous s'en vont disant: -C'est bien!- bons et
 méchants,
 Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et
 pâle,
 Levant les bras au ciel dans le fond de la salle.
Un
 homme de génie apparaît. Il est doux,
 Il est fort, il
 est grand; il est utile à tous;
 Comme l'aube au-dessus de
 l'océan qui roule,
 Il dore d'un rayon tous les fronts de la
 foule;
 Il luit; le jour qu'il jette et un jour éclatant;
 Il
 apporte une idée au siècle qui l'attend;
 Il fait son
 oeuvre; il veut des choses nécessaires,
 Agrandir les
 esprits, amoindrir les misères;
 Heureux, dans ses travaux
 dont les cieux sont témoins,
 Si l'on pense un peu plus, si
 l'on souffre un peu moins!
 Il vient. -- Certe, on le va couronner!
 -- On le hue!
 Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la
 cohue,
 Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
 Ceux
 qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout,
 Tous
 hurlent à la fois et font un bruit sinistre.
 Si c'est un
 orateur ou si c'est un ministre,
 On le siffle. Si c'est un poëte,
 il entend
 Ce choeur: -Absurde! faux! monstrueux! révoltant!-
 Lui,
 cependant, tandis qu'on bave sur sa palme,
 Debout, les bras
 croisés, le front levé, l'oeil calme,
 Il contemple,
 serein, l'idéal et le beau;
 Il rêve; et, par moments,
 il secoue un flambeau
 Qui, sous ses pieds, dans l'ombre,
 éblouissant la haine,
 Éclaire tout à coup le
 fond de l'âme humaine;
 Ou, ministre, il prodigue et ses
 nuits et ses jours;
 Orateur, il entasse efforts, travaux,
 discours;
 Il marche, il lutte! Hélas! l'injure ardente et
 triste,
 A chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste.
 Nul
 abri. Ce serait un ennemi public,
 Un monstre fabuleux, dragon ou
 basilic,
 Qu'il serait moins traqué de toutes les
 manières,
 Moins entouré de gens armés de
 grosses pierres,
 Moins haï! -- Pour eux tous et pour ceux qui
 viendront,
 Il va semant la gloire, il recueille l'affront.
 Le
 progrès est son but, le bien est sa boussole;
 Pilote, sur
 l'avant du navire il s'isole;
 Tout marin, pour dompter les vents
 et les courants,
 Met tour à tour le cap sur des points
 différents,
 Et, pour mieux arriver, dévie en
 apparence;
 Il fait de même; aussi blâme et cris;
 l'ignorance
 Sait tout, dénonce tout; il allait vers le
 nord,
 Il avait tort; il va vers le sud, il a tort;
 Si le temps
 devient noir, que de rage et de joie!
 Cependant, sous le faix sa
 tête à la fin ploie,
 L'âge vient, il couvait un
 mal profond et lent,
 Il meurt. L'envie alors, ce démon
 vigilant,
 Accourt, le reconnaît, lui ferme la
 paupière,
 Prend soin de le clouer de ses mains dans la
 bière,
 Se penche, écoute, épie en cette
 sombre nuit
 S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de
 bruit,
 S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme
 Et,
 s'essuyant les yeux, dit: -C'était un grand homme!-
Où
 vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit?
 Ces doux êtres
 pensifs, que la fièvre maigrit?
 Ces filles de huit ans
 qu'on voit cheminer seules?
 Ils s'en vont travailler quinze heures
 sous des meules;
 Ils vont, de l'aube au soir, faire
 éternellement
 Dans la même prison le même
 mouvement.
 Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
 Monstre
 hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
 Innocents
 dans un bagne, anges dans un enfer,
 Ils travaillent. Tout est
 d'airain, tout est de fer.
 Jamais on ne s'arrête et jamais
 on ne joue.
 Aussi quelle pâleur! la cendre est sur leur
 joue.
 Il fait à peine jour, ils sont déjà
 bien las.
 Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas!
 Ils
 semblent dire à Dieu: -Petits comme nous sommes,
 -Notre
 père, voyez ce que nous font les hommes!-
 O servitude
 infâme imposée à l'enfant!
 Rachitisme! travail
 dont le souffle étouffant
 Défait ce qu'a fait Dieu:
 qui tue, oeuvre insensée,
 La beauté sur les fronts,
 dans les coeurs la pensée,
 Et qui ferait -- c'est là
 son fruit le plus certain --
 D'Apollon un bossu, de Voltaire un
 crétin!
 Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa
 serre,
 Qui produit la richesse en créant la misère,
 Qui
 se sert d'un enfant ainsi que d'un outil!
 Progrès dont on
 demande: -Où va-t-il? Que veut-il?-
 Qui brise la jeunesse
 en fleur! qui donne, en somme,
 Une âme à la machine
 et la retire à l'homme!
 Que ce travail, haï des mères,
 soit maudit!
 Maudit comme le vice où l'on
 s'abâtardit,
 Maudit comme l'opprobre et comme le
 blasphème!
 O Dieu! qu'il soit maudit au nom du travail
 même,
 Au nom du vrai travail, saint, fécond,
 généreux,
 Qui fait le peuple libre et qui rend
 l'homme heureux!
Le pesant chariot porte une énorme
 pierre;
 Le limonier, suant du mors à la croupière,
 Tire,
 et le roulier fouette, et le pavé glissant
 Monte, et le
 cheval triste à le poitrail en sang.
 Il tire, traîne,
 geint, tire encore et s'arrête;
 Le fouet noir tourbillonne
 au-dessus de sa tête;
 C'est lundi; l'homme hier buvait aux
 Porcherons
 Un vin plein de fureur, de cris et de jurons;
 Oh!
 quelle est donc la loi formidable qui livre
 L'être à
 l'être, et la bête effarée à l'homme
 ivre!
 L'animal éperdu ne peut plus faire un pas;
 Il sent
 l'ombre sur lui peser; il ne sait pas,
 Sous le bloc qui l'écrase
 et le fouet qui l'assomme,
 Ce que lui veut la pierre et ce que lui
 veut l'homme.
 Et le roulier n'est plus qu'un orage de
 coups
 Tombant sur ce forçat qui traîne des
 licous,
 Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.
 Si
 la corde se casse, il frappe avec le pié;
 Et le cheval,
 tremblant, hagard, estropié,
 Baisse son cou lugubre et sa
 tête égarée;
 On entend, sous les coups de la
 botte ferrée,
 Sonner le ventre nu du pauvre être
 muet!
 Il râle; tout à l'heure encore il remuait;
 Mais
 il ne bouge plus, et sa force est finie;
 Et les coups furieux
 pleuvent; son agonie
 Tente un dernier effort; son pied fait un
 écart,
 Il tombe, et le voilà brisé sous le
 brancard;
 Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
 Il
 regarde Quelqu'un de sa prunelle trouble;
 Et l'on voit lentement
 s'éteindre, humble et terni,
 Son oeil plein des stupeurs
 sombres de l'infini,
 Où luit vaguement l'âme
 effrayante des choses.
 Hélas!
Cet avocat plaide
 toutes les causes;
 Il rit des généreux qui désirent
 savoir
 Si blanc n'a pas raison avant de dire noir;
 Calme, en sa
 conscience il met ce qu'il rencontre,
 Ou le sac d'argent Pour, ou
 le sac d'argent Contre;
 Le sac pèse pour lui ce que la
 cause vaut.
 Embusqué, plume au poing, dans un journal
 dévot,
 Comme un bandit tuerait, cet écrivain
 diffame.
 La foule hait cet homme et proscrit cette femme;
 Ils
 sont maudits. Quel est leur crime? Ils ont aimé.
 L'opinion
 rampante accable l'opprimé,
 Et, chatte aux pieds des forts,
 pour le faible est tigresse.
 De l'inventeur mourant le parasite
 engraisse.
 Le monde parle, assure, affirme, jure, ment,
 Triche,
 et rit d'escroquer la dupe Dévouement.
 Le puissant
 resplendit et du destin se joue;
 Derrière lui, tandis qu'il
 marche et fait la roue,
 Sa fiente épanouie engendre son
 flatteur.
 Les nains sont dédaigneux de toute leur
 hauteur.
 O hideux coin de rue où le chiffonnier morne
 Va,
 tenant à la main sa lanterne de corne,
 Vos tas d'ordures
 sont moins noirs que les vivants!
 Qui, des vents ou des coeurs,
 est le plus sûr? Les vents.
 Cet homme ne croit rien et fait
 semblant de croire;
 Il a l'oeil clair, le front gracieux, l'âme
 noire;
 Il se courbe; il sera votre maître demain.
Trouvez votre cour de francais pour ne plus faire de fautes.
Tu
 casses des cailloux, vieillard, sur le chemin;
 Ton feutre humble
 et troué s'ouvre à l'air qui le mouille;
 Sous la
 pluie et le temps ton crâne nu se rouille;
 Le chaud est ton
 tyran, le froid est ton bourreau;
 Ton vieux corps grelottant
 tremble sous ton sarrau;
 Ta cahute, au niveau du fossé de
 la route,
 Offre son toit de mousse à la chèvre qui
 broute;
 Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir
 Pour
 manger le matin et pour jeûner le soir;
 Et, fantôme
 suspect devant qui l'on recule,
 Regardé de travers quand
 vient le crépuscule,
 Pauvre au point d'alarmer les allants
 et venants,
 Frère sombre et pensif des arbres
 frissonnants,
 Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur
 feuillage;
 Autrefois, homme alors dans la force de l'âge,
 Quand
 tu vis que l'Europe implacable venait,
 Et menaçait Paris et
 notre aube qui naît,
 Et, mer d'hommes, roulait vers la
 France effarée,
 Et le Russe et le Hun sur la terre
 sacrée
 Se ruer, et le nord revomir Attila,
 Tu te levas,
 tu pris ta fourche; en ces temps-là,
 Tu fus, devant les
 rois qui tenaient la campagne,
 Un des grands paysans de la grande
 Champagne.
 C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert
 sillon,
 Une calèche arrive, et, comme un tourbillon,
 Dans
 la poudre du soir qu'à ton front tu secoues,
 Mêle
 l'éclair du fouet au tonnerre des roues.
 Un homme y dort.
 Vieillard, chapeau bas! Ce passant
 Fit sa fortune à l'heure
 où tu versais ton sang;
 Il jouait à la baisse, et
 montait à mesure
 Que notre chute était plus profonde
 et plus sûre;
 Il fallait un vautour à nos morts; il
 le fut;
 Il fit, travailleur âpre et toujours à
 l'affût,
 Suer à nos malheurs des châteaux et
 des rentes;
 Moscou remplit ses prés de meules
 odorantes;
 Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets,
 Et
 la Bérésina charriait un palais;
 Pour lui, pour que
 cet homme ait des fleurs, des charmilles,
 Des parcs dans Paris
 même ouvrant leurs larges grilles,
 Des jardins où
 l'on voit le cygne errer sur l'eau,
 Un million joyeux sortit de
 Waterloo;
 Si bien que du désastre il a fait sa victoire,
 Et
 que, pour la manger, et la tordre, et la boire,
 Ce Shaylock, avec
 le sabre de Blucher,
 A coupé sur la France une livre de
 chair.
 Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on
 vénère;
 Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce
 millionnaire,
 C'est l'honnête homme. Allons, debout, et
 chapeau bas!
Les carrefours sont pleins de chocs et de
 combats.
 Les multitudes vont et viennent dans les rues.
 Foules!
 sillons creusés par ces mornes charrues:
 Nuit, douleur,
 deuil! champ triste où souvent a germé
 Un épi
 qui fait peur à ceux qui l'ont semé!
 Vie et mort!
 onde où l'hydre à l'infini s'enlace!
 Peuple océan
 jetant l'écume populace!
 Là sont tous les chaos et
 toutes les grandeurs;
 Là, fauve, avec ses maux, ses
 horreurs, ses laideurs,
 Ses larves, désespoirs, haines,
 désirs, souffrances,
 Qu'on distingue à travers de
 vagues transparences,
 Ses rudes appétits, redoutables
 aimants,
 Ses prostitutions, ses avilissements,
 Et la fatalité
 des moeurs imperdables,
 La misère épaissit ses
 couches formidables.
 Les malheureux sont là, dans le
 malheur reclus.
 L'indigence, flux noir, l'ignorance,
 reflux,
 Montent, marée affreuse, et parmi les
 décombres,
 Roulent l'obscur filet des pénalités
 sombres.
 Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit,
 Et
 l'homme cherche l'homme à tâtons; il fait nuit;
 Les
 petits enfants nus tendent leurs mains funèbres;
 Le crime,
 antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres;
 Le
 vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons,
 Les âmes
 en lambeaux dans les corps en haillons;
 Pas de coeur où ne
 croisse une aveugle chimère.
 Qui grince des dents? L'homme.
 Et qui pleure? La mère.
 Qui sanglote? La vierge aux yeux
 hagards et doux.
 Qui dit: -J'ai froid?- L'aïeule. Et qui dit:
 -J'ai faim?- Tous!
 Et le fond est horreur, et la surface est
 joie.
 Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie,
 Et sur le
 pâle amas des cris et des douleurs,
 Les chansons et le rire
 et les chapeaux de fleurs!
 Ceux-là sont les heureux. Ils
 n'ont qu'une pensée:
 A quel néant jeter la journée
 insensée?
 Chiens, voitures, chevaux! centre au reflet
 vermeil!
 Poussière dont les grains semblent d'or au
 soleil!
 Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans
 trêve,
 Et se passe à tâcher d'oublier dans un
 rêve
 L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus.
 Quand
 on voile Lazare, on efface Jésus.
 Ils ne regardent pas dans
 les ombres moroses.
 Ils n'admettent que l'air tout parfumé
 de roses,
 La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais
 Ce
 spectre galonné du pauvre, à leurs banquets.
 Les
 fleurs couvrent les seins et débordent des vases.
 Le bal,
 tout frissonnant de souffles et d'extases,
 Rayonne, étourdissant
 ce qui s'évanouit;
 Éden étrange fait de
 lumière et de nuit.
 Les lustres aux plafonds laissent
 pendre leurs flammes,
 Et semblent la racine ardente et pleine
 d'âmes
 De quelque arbre céleste épanoui plus
 haut.
 Noir paradis dansant sur l'immense cachot!
 Ils savourent,
 ravis, l'éblouissement sombre
 Des beautés, des
 splendeurs, des quadrilles sans nombre,
 Des couples, des amours,
 des yeux bleus, des yeux noirs.
 Les valses, visions, passent dans
 les miroirs.
 Parfois, comme aux forêts la fuite des
 cavales,
 Les galops effrénés courent; par
 intervalles,
 Le bal reprend haleine; on s'interrompt, on fuit,
 On
 erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit;
 Puis, folle,
 et rappelant les ombres éloignées,
 La musique,
 jetant les notes à poignées,
 Revient, et les regards
 s'allument, et l'archet,
 Bondissant, ressaisit la foule qui
 marchait.
 O délire! et d'encens et de bruit
 enivrées,
 L'heure emporte en riant les rapides soirées,
 Et
 les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux.
 D'autres, toute
 la nuit, roulent les dés joyeux,
 Ou bien, âpre, et
 mêlant les cartes qu'ils caressent,
 Où des spectres
 riants ou sanglants apparaissent,
 Leur soif de l'or, penchée
 autour d'un tapis vert,
 Jusqu'à ce qu'au volet le jour
 bâille entr'ouvert,
 Poursuit le pharaon, le lansquenet ou
 l'hombre,
 Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit
 dans l'ombre,
 Pendant que les greniers grelottent sous les
 toits,
 Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix,
 Heurtent
 aux grands quais blancs les glaçons qu'ils charrient,
 Tous
 ces hommes contents de vivre, boivent, rient,
 Chantent; et, par
 moments, on voit, au-dessus d'eux,
 Deux poteaux soutenant un
 triangle hideux,
 Qui sortent lentement du noir pavé des
 villes...
O forêts! bois profonds! solitudes! asiles!









 Loading...
Loading...









Si vous désirez une aide personnalisée, contactez dès maintenant l’un de nos professeurs !