Chapitres
Bac de Français 2004 : L'image ( Première |
Vous
répondrez d'abord à la question suivante : (4 points)
Après
avoir observé les caractéristiques des lettres de ce corpus, vous
dégagerez l'image que Flaubert s'attache à donner de lui-même à
chacun de ses correspondants.
A - Flaubert, Lettre à Victor Hugo
: Croisset, 15 juillet 1853[Grand
admirateur de Victor Hugo, Flaubert entretint avec lui une relation
épistolaire, en particulier après le coup d'État de Louis-Napoléon
Bonaparte ; Victor Hugo est alors en exil].
Croisset, 15
juillet [1853]
Comment vous remercierai-je,
Monsieur, de votre magnifique présent(1)? Et qu'ai-je à dire ? si
ce n'est le mot de Talleyrand à Louis-Philippe qui venait le visiter
dans son agonie :
"C'est le plus grand honneur qu'ait reçu
ma maison !" Mais ici se termine le parallèle, pour toutes
sortes de raisons.
Donc, je ne vous cacherai pas, Monsieur, que
vous avez fortement
Chatouillé de mon coeur
l'orgueilleuse faiblesse
comme eût écrit ce bon Racine !
Honnête poète ! et quelle quantité de monstres il
trouverait maintenant à peindre, autres et pires cent fois
que son dragon-taureau(2).
L'exil, du moins, vous en épargne la
vue. Ah ! si vous saviez dans quelles immondices nous nous enfonçons
! Les infamies particulières découlent de la turpitude politique et
l'on ne peut faire un pas sans marcher sur quelque chose de sale.
L'atmosphère est lourde de vapeurs nauséabondes. De l'air ! de
l'air ! Aussi j'ouvre la fenêtre et je me tourne vers vous. J'écoute
passer les grands coups d'ailes de votre Muse et j'aspire, comme le
parfum des bois, ce qui s'exhale des profondeurs de votre style.
Et
d'ailleurs, Monsieur, vous avez été dans ma vie une obsession
charmante, un long amour ; il ne faiblit pas. Je vous ai lu durant
des veillées sinistres et, au bord de la mer sur des plages douces,
en plein soleil d'été. Je vous ai emporté en Palestine, et c'est
vous encore ; qui me consoliez, il y a dix ans, quand je mourais
d'ennui dans le Quartier Latin. Votre poésie est entrée dans ma
constitution comme le lait de ma nourrice. Tel de vos vers reste à
jamais dans mon souvenir, avec toute l'importance d'une aventure.
Je
m'arrête. Si quelque chose est sincère pourtant, c'est cela.
Désormais donc, je ne vous importunerai plus de ma personne et vous
pourrez user du correspondant(3) sans craindre la
correspondance.
Cependant, puisque vous me tendez votre main
par-dessus l'Océan, je la saisis et je la serre . Je la serre avec
orgueil, cette main qui a écrit Notre-Dame et Napoléon le
Petit, cette main qui a taillé des colosses et ciselé pour les
traîtres des coupes amères, qui a cueilli dans les hauteurs
intellectuelles les plus splendides délectations et qui, maintenant,
comme celle de l'Hercule biblique, reste seule levée parmi les
doubles ruines de l'Art et de la Liberté !
A vous donc, Monsieur,
et avec mille remerciements encore une fois.
Eximo(4)
(1) Victor Hugo avait joint à une
de ses lettres à Flaubert son propre portrait peint par son
fils.
(2) Allusion au monstre mythique évoqué par Racine dans
Phèdre.
(3) Flaubert aide Victor Hugo à faire parvenir
clandestinement des lettres en France
(4) Signifie : du très
humble.
B - Flaubert, Lettre à Louise Colet
: Croisset, 15 juillet 1853[Louise
Colet fut la maîtresse de Flaubert].
[Croisset] Vendredi
soir, 1 heure [15 juillet 1853].
(...) Je lui ai écrit une lettre
monumentale, au Grand Crocodile(1). Je ne cache pas qu'elle m'a donné
du mal (mais je la crois montée, trop, peut-être), si bien que je
la sais maintenant par cœur. Si je me la rappelle, je te la dirai.
Le paquet part demain. (...)
(1) Surnom donné par Flaubert à
Victor Hugo
C - Flaubert, Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie.
: Croisset, 8 octobre
1859[Mademoiselle Leroyer de Chantepie est une admiratrice
de Flaubert, devenue peu à peu une confidente].
[Croisset, 8
octobre 1859]
Vous devez croire que je vous ai
oubliée ! Il n'en est rien. Mais il faut pardonner un peu de paresse
à un pauvre homme qui garde la plume à la main toute la journée et
qui se couche le soir, ou plutôt le matin, éreinté comme un
casseur de cailloux.
Dans votre dernière lettre du 23 juin, vous
me disiez que vous deviez aller à Nantes. Avez- vous fait ce voyage
et vous en êtes-vous bien trouvée ? Non, n'est-ce pas ? Quand on a
une douleur, on la porte avec soi partout. Les plaies ne se déposent
pas comme les vêtements, et celles que nous aimons, celles qu'on
gratte toujours et qu'on ravive ne guérissent jamais.
Je ne puis
rien faire pour vous que vous plaindre, pauvre âme souffrante ! Tout
ce que je vous dirais, vous le savez ; tous les conseils que je vous
donnerais, on vous les donne.
Mais pourquoi n'êtes-vous pas plus
obéissante et n'essayez-vous pas ? J'ai vu des personnes dans un
état déplorable finir par se trouver mieux à force de recevoir du
monde, d'entendre de la musique, d'aller au théâtre, etc. Venez
donc un hiver à Paris et prenez avec vous une jeune fille gaie qui
vous mènera partout. Le spectacle de la gaieté rend heureux quand
on a le cœur bon. Faites l'éducation d'un enfant intelligent, vous
vous amuserez à voir son esprit se développer.
Pendant que vous
étiez dans vos souffrances, j'étais dans les miennes ; j'ai été
physiquement malade le mois dernier, par suite d'une longue
irritation nerveuse due à des inquiétudes et tracas domestiques.
Les difficultés de mon travail y avaient peut-être aussi contribué.
J'écris un gros livre ; il est lourd et il me pèse
quelquefois.
Enfin, me voilà bientôt à moitié ; j'ai presque
écrit six chapitres ! Il m'en reste encore sept. Vous voyez que j'ai
encore de la besogne.
Une chose magnifique vient de paraître : la
Légende des Siècles, de Hugo. Jamais ce colossal poète n'avait
été si haut. Vous qui aimez l'idéal et qui le sentez, je vous
recommande les histoires de chevalerie qui sont dans le premier
volume. Quel enthousiasme, quelle force et quel langage ! Il est
désespérant d'écrire après un pareil homme. Lisez et gorgez-vous
de cela, car c'est beau et sain.
Je suis sûr que le public va
rester indifférent à cette collection de chefs-d'œuvre ! Son
niveau moral est tellement bas, maintenant ! On pense au caoutchouc
durci, aux chemins de fer, aux expositions, etc., à toutes les
choses du pot-au-feu et du bien-être ; mais la poésie, l'idéal,
l'Art, les grands élans et les nobles discours, allons donc !
A
propos de choses élevées, lisez donc les travaux de Renan(2).
Que
dites-vous de tous les mandements des évêques à propos de l'Italie
? Comme c'est triste ! II est immonde, ce clergé qui défend et
bénit toutes les tyrannies, jette l'anathème(3) à la liberté, n'a
d'encens que pour le pouvoir et se vautre bassement devant la chose
reçue ; quand même, toutes ces soutanes qui se cousent au drap du
trône me font horreur !
Avez-vous lu la Question romaine,
d'Edmond About ? Cela est très spirituel et très vrai pour
quiconque a vu l'Italie ; on ne peut faire à ce livre aucune
objection sérieuse, et néanmoins ce n'était pas là ce qu'il
fallait dire. La question devait être prise de plus haut ; cela
manque de maîtrise. - II me semble que tout craque sur la terre
depuis la Chine jusqu'à Rome. - Le musulmanisme, qui va mourir
aussi, se convulsionne. Nous verrons de grandes choses. J'ai peur
qu'elles ne soient funèbres.
Adieu, je vous serre les mains bien
affectueusement.
Le verre de votre portrait accroché dans ma
chambre, sur une porte, s'est fêlé ces jours-ci. J'ai de ces
superstitions. Vous est-il arrivé quelque malheur ?
(2) Penseur et écrivain
contemporain de Flaubert (3) Condamne.
D - Flaubert, Lettre à Jeanne de Tourbey
: Croisset, 8 octobre 1859[Jeanne
de Tourbey fut célèbre pour ses relations mondaines et amoureuses
sous le Second Empire].
[Croisset,] samedi 8 [octobre 1859].
C'est moi ! M'avez-vous oublié ?
Rassurez-moi bien vite en me disant que non, n'est-ce pas ? Je n'ai
rien à vous conter si ce n'est que je m'ennuie de vous"
démesurément. Voila ! et que je songe à votre adorable personne
avec toutes sortes de mélancolies profondes.
Qu'êtes-vous
devenue cet été ? Avez-vous été aux bains de mer, etc., etc. ?
Êtes-vous maintenant revenue de Neuilly ? Est-ce dans le boudoir de
la me de Vendôme que se retrouvent vos grâces de panthère et votre
esprit de démon ? Comme je rêve souvent à tout cela ! Je vous
suis, de la pensée, allant et venant partout, glissant sur vos
tapis, vous asseyant mollement sur les fauteuils, avec des poses
exquises !
Mais une ombre obscurcit ce tableau..., à savoir la
quantité de messieurs qui vous entourent (braves garçons du reste).
Il m'est impossible de penser à vous, sans voir en même temps des
basques d'habits noirs à vos pieds. Il me semble que vous marchez
sur des moustaches comme une Vénus indienne sur des fleurs.
Triste-jardin !
Et les leçons de musique ? Faisons-nous des
progrès ? Et les promenades à cheval ? A-t-on toujours cette petite
cravache dont on cingle les gens ? Comme si vous aviez besoin de cela
pour les faire souffrir !
Quant à votre serviteur indigne, il a
été le mois dernier assez malade, par suite d'ennuis dont je vous
épargne le détail. J'ai travaillé. Je n'ai pas bougé de chez moi.
J'ai regardé les clairs de lune, la nuit, je me suis baigné dans la
rivière quand il faisait chaud, j'ai pendant quatre mois supporté
la compagnie de bourgeois et surtout de bourgeoises dont ma maison
était pleine - et, il y a aujourd'hui trois semaines, j'ai failli
passer sous une locomotive ! Oui, j'ai manqué être écrasé comme
un chien ! Hélas ! aucune " amante " ne serait venue
sur " ma tombe isolée " et le " pâtre de la
vallée(1)", etc.
Dans deux mois, j'espère vous revoir,
revenir me mettre à vos genoux, et causer comme les autres hivers de
philosophie sentimentale, tout en regardant vos yeux qui rient si
franchement et qui pensent si fort.
Je me précipite sous la
semelle de vos pantoufles, et, tout en les baisant, je répète que
je suis tout à vous.
Amitiés de ma part à Fournier, si ça ne
vous dérange pas...
(1) allusions à la poésie de
Lamartine.
RdM...
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